Pour une prise en compte du bien-être des poissons

Pour une prise en compte du bien-être des poissons

La prise en compte du bien être animal est un sujet de plus en plus prégnant dans notre société. Pour autant, les poissons semblent encore trop souvent exclus de ces préoccupations. Un nombre croissant de personnes et d’organisations militent pour faire évoluer les mentalités et la législation. Il est grand temps. Attention, article engagé !

Oui, les poissons souffrent

Quiconque a déjà vu un poisson agoniser ne peut qu’être intimement persuadé que leur souffrance est une réalité. Les poissons ne crient pas, les poissons ne nous ressemblent pas, mais ce sont assurément des êtres sensibles, comme nous humains. Je ne m’étendrai pas ici sur ce sujet qui méritera à lui seul un article, mais heureusement pour les défenseurs de la cause animale, la recherche scientifique avance, et les preuves deviennent de plus en plus irréfutables. Si l’on se réjouit de leur existence, ces résultats arrivent tard. Les poissons pâtissent d’un manque d’empathie considérable qui trouve racine dans notre faible proximité avec ces animaux, et est alimenté par leurs sous-expositions médiatique et scientifique en comparaison avec les animaux terrestres. Nous en sommes venus à normaliser leur maltraitance et leur massacre.

Une quasi-absence de cadre légal qui rend leur (sur)vie infernale

Si l’on peut s’indigner de la faible prise en compte du bien être des animaux terrestres dans nos lois, on ne peut que s’insurger contre l’absence de considération pour le bien-être des poissons.

Le cas de l’aquaculture

Intéressons-nous plus particulièrement à l’aquaculture. Le secteur affiche une croissance insolente au niveau mondial, de l’ordre de 7% par an depuis les années 2000, tirée en grande partie par la Chine. Au niveau européen, la production en volume est restée à peu près stable. Si l’on parle en nombre de têtes, cela représente pour l’Union Européenne entre 562 et 1260 millions d’individus abattus dans les élevages pour la seule année 2017.

FAO The state of world fisheries and aquaculture 2020 : outre la multiplication par 5 des captures depuis le milieu du siècle dernier, on observe nettement la montée fulgurante de l’aquaculture depuis les années 1990 : elle fournit aujourd’hui la moitié du poisson consommé dans le monde

Aujourd’hui, la filière aquacole n’est réglementée que sur le plan sanitaire et environnemental. Comme le souligne la Fondation Droit Animal, « les très rares normes entourant  la protection animale en aquaculture sont soit non contraignantes, soit inadaptées, car pensées pour les animaux terrestres ». En droit français comme européen, la réglementation censée protéger les bêtes au moment de l’abattage ne concerne tout simplement pas les poissons. Cela au point que les méthodes d’abattage employées sont contraires aux normes de l’OIE, l’Organisation Mondiale de la Santé Animale (Instant culture : l’acronyme OIE fait référence au nom original de cet organisme né en 1924 : Office International des Epizooties).

Les poissons vivent dans des enclos surpeuplés, provoquant blessures, maladies, et des comportements sociaux contre nature marqués par une forte agressivité. Ce mode d’élevage exige l’apport de nombreux produits chimiques et antibiotiques destinés à compenser les méfaits du confinement. Une fois leur fin venue, ils doivent parfois jeûner jusqu’à trois semaines pour vider leur estomac et les rendre plus faciles à nettoyer. Rappelons qu’ils sont habitués à être nourris plusieurs fois par jour. Leur mort ne sera pas plus douce. Suffocation à l’air libre, immersion dans des mélanges glace et eau ou saignée sans étourdissement préalables sont aujourd’hui la norme. En d’autres termes, nos poissons d’élevage vivent et meurent le plus souvent dans des conditions indignes. N’oublions jamais que l’élevage intensif représente l’essentiel des élevages, de même que pour les animaux terrestres.

Quelques images signées L214. On y parle étourdissement au dioxyde de carbone, une méthode qui génère la souffrance de l’animal durant de longue minutes. Notons que cet étourdissement est autorisé dans le label Bio, qui a au moins le mérite d’obliger à l’étourdissement avant abattage ce que ne semble même pas faire le label Rouge

Un secteur indissociable de la pêche minotière

Parler uniquement de la souffrance dans l’aquaculture serait faire injure aux MILLIARDS de poissons capturés en mer pour alimenter ces mêmes poissons d’élevage, souvent carnivores (saumons, daurades…). La « pêche minotière« , car c’est ainsi qu’elle se nomme, est responsable de la mort de 460 à 1100 milliards de poissons annuellement (oui, vous lisez bien, « milliards »). Je n’évoquerai même pas toutes les « prises accessoires » induites par ces pêches exclusivement intensives. Outre les impacts désastreux sur la biodiversité, ce sont autant de vies arrachées cruellement. Écrasement dans les filets, agonie sur des bancs de glace, changements de pression soudains responsables de l’éclatement d’organes… La fin de vie des poissons issues de ces pêches est ignoble. Tout ça pour nourrir des poissons (ou animaux terrestres) d’élevage. Un non sens total.

Association Bloom, sur la pêche minotière

Des acteurs de la filière engagés à changer eux-même leur activité

Si le tableau dressé est assez sombre, quelques lueurs d’espoir viennent l’éclaircir : elles sont portées par des acteurs de la filière qui ont à cœur de préserver les écosystèmes et de traiter les animaux avec le respect qu’on leur doit. Ces préoccupation croissantes se traduisent par un regain d’intérêt pour des méthodes parfois ancestrales.

Pour ce qui est de l’abattage des poissons, nous pouvons évoquer l’Ikejime, une technique venue tout droit du Japon qui fait de plus en plus d’émules, y compris en France. Elle consiste à tuer le poisson en s’attaquant de manière chirurgicale à son système nerveux avant de le saigner. Si elle n’est pas indolore, elle abrège considérablement la souffrance du poisson et permettrait de conserver bien davantage sa saveur.

photo : Nedjma Berder. Après avoir eu le cerveau perforé, la moelle épinière du poisson est détruite avec un câble d’acier. La technique japonaise de l’Ikeji犀利士 me a pour objectif principal d’améliorer la qualité du poisson, mais permet en même temps de limiter sa souffrance.

En matière d’aquaculture, on voit se développer de nouvelles formes d’élevage, à plus petite échelle, qui intègrent les poissons dans un écosystème plus large. C’est ce que fait l’aquaponie, en alliant aquaculture et hidroponie (culture des plantes en eau). Lorsqu’elle est pratiquée dans un réel esprit agroécologique, elle permet d’assurer à la fois un meilleur bien être animal (avec des densités de population bien moins importantes qu’en élevage traditionnel) et d’y associer production de légumes. Nous avons là une production sans aucun intrant chimique, qui plus est économe en eau.

Y compris chez les acteurs plus traditionnels de la filière, la prise de conscience avance, tirée par une demande croissante des consommateurs. Un groupe de travail associant industriels et chercheurs a ainsi été initié pour œuvrer à l’amélioration du bien-être animal dans les élevages. En 2017, le géant de la distribution Tesco a reçu le trophée d’innovation du CIWF (Compassion in World Farming) pour son travail visant à développer et mettre en place un système d’abattage avec étourdissement pour les daurades et les bars de leur approvisionnement. Des petits pas appréciables mais très insuffisants étant donné le chemin à parcourir. Cela semble en tout cas ahurissant que des industriels soient en avance sur le législateur sur ces sujets.

Les mois prochains, déterminants pour obtenir des avancées légales

Aussi bien au niveau français qu’européen, des échéances cruciales sont prévues dans les prochains mois pour définir la feuille de route pour une « aquaculture durable ». Les grandes orientations stratégiques sur le développement de la filière seront alors figées ou presque pour les prochaines années. L’enjeu ? L’élaboration de nouvelle normes strictes et contraignantes mais aussi et surtout l’allocation du prochain FEAMP (Fond Européen pour les Affaires Maritimes et la pêche) sur la période 2021-2027. Ce fond d’un montant de 6 milliards d’euros est l’équivalent de la PAC pour les ressources halieutiques.

Dans l’immédiat et face aux échéances politiques, les associations de protection animale se mobilisent et mettent en avant les trois demandes suivantes :

  • Privilégier les espèces herbivores dans les fermes aquacoles
  • Mettre en place des réglementations contraignantes et spécifiques sur l’élevage, le transport et l’abattage de犀利士 s poissons, en accord avec les connaissances scientifiques actuelles
  • Accélérer la recherche scientifique en créant notamment un centre de référence européen sur le bien-être des poissons

Plusieurs d’entre elles se sont récemment rassemblées à un échelon international au sein de l »Aquatic Animal Alliance . Objectif : peser au maximum sur les négociations.

En admettant que les associations obtiennent gain de cause, de nombreuses questions resteront en suspens. En particulier, il faudra veiller à ce que les réglementations mises en place s’accompagnent des bons outils de contrôle et de certification des élevages. Par ailleurs, il s’agira d’élargir les normes à la pêche commerciale dans son ensemble, ainsi qu’à l’ensemble de la faune aquatique (crustacés… )

Se préoccuper davantage de nos assiettes, un autre levier essentiel

Nous venons de parler de la « production », mais qu’en est-il de notre comportement à l’autre bout de la chaine, dans nos poissonneries et supermarchés ? Savez-vous quelle est notre consommation individuelle moyenne de poisson en France ? Regardez le graphique ci-dessous et vous serez peut-être comme moi surpris.es d’apprendre que nous sommes parmi les plus gros.ses consommateur.rices au monde. De quoi prendre le temps le temps de la réflexion….

FAO The state of world fisheries and aquaculture 2020

Étape 1 : choisir son poisson

S’il est illusoire de croire en la toute puissance de nos actes d’achat, ne sous-estimons pas pour autant la force de ces choix individuels. Nous sommes responsables de ce que nous mangeons, et des impacts de nos choix alimentaires !

Cependant, permettre aux individus de choisir de manière éclairée suppose deux choses :

  • La sensibilisation à la souffrance animale. Cette première étape est essentielle. Elle doit se faire par l’exposition à la réalité, aussi crue soit-elle, associée à une diffusion de la connaissance scientifique. Sur ce point, on observe un net progrès dans les mentalités. A titre d’exemple : seriez-vous aujourd’hui choqué.e de voir des poissons rouges dans des sacs plastiques en plein soleil distribués aux enfant au même titre que de vulgaires peluches dans une fête foraine ? Pour ma part, je réalise avec effroi qu’il y a une époque où cela me semblait normal !
  • La mise en place d’un système de labels au cahier des charges strictes, intégrant la prise en compte du bien-être des animaux aquatiques (pas comme le label MSC par exemple…). Sans information fiable sur les produits, il nous est bien sûr impossible d’acheter en connaissance de cause.

Étape 2 : questionner notre niveau de consommation animale

La « production » de poisson répond à un besoin : notre alimentation. De même que pour notre consommation d’animaux terrestres, il est inenvisageable de répondre à une demande aussi importante autrement que par de l’élevage intensif, fort consommateur de ressources et incapable de fournir aux animaux des conditions dignes. Posons-nous alors les bonnes questions. La première d’entre elles : avons-nous besoin de manger autant de poisson ? Suivie de la seconde : avons-nous besoin de manger du poisson tout court ? Chacun sera libre de se positionner sur ces sujets. Pour ma part, j’ai répondu à ces questions.

Un occasion manquée : la dernière loi sur le bien-être animal

On en a beaucoup parlé dans les médias, la dernière loi sur le bien-être animal a été votée il y a quelques jours. Si des avancées sont à saluer, la chasse ou l’élevage n’étaient même pas à l’ordre du jour, comme de nombreux sujets qui auraient pu être mis sur la table concernant la faune aquatique.

Parmi ceux qui auraient pu être évoqués outre ceux déjà mentionnés plus haut : quelles mesures pour améliorer le bien être des espèces vivant en aquarium et autres « espèces d’ornement » ? Devrions-nous interdire les « fish pédicures » ? (anecdotique me direz-vous, mais c’est tout de même autorisé !) Comment mieux réglementer la pêche de loisir… J’en vois certains grimacer. Et pourtant, si on commence enfin à se préoccuper des animaux de compagnie ou de ceux qui sont chassés (merci Pierre Rigaud !), pourquoi exclure Maurice le poisson rouge ou la truite pêchée en rivière par un amateur non (in)formé ? A titre d’exemple, la pêche-sportive nommée «no-kill» qui consiste à pêcher puis à relâcher le poisson, est interdite en Suisse et en Allemagne dans le but d’éviter un stress et des lésions inutiles aux animaux. A méditer…

Pour finir, je vous laisse sur ce texte paru sur médiapart le 15 décembre dernier en faveur d’une prise en compte du bien-être des poissons. On y trouve parmi les signataires aussi bien des associations que des individus comme Aurélien Barreau, Mathieu Ricard, ou Laurence Parisot (dont je découvre l’engagement pour la cause animale !). Cette tribune, qui m’a beaucoup inspirée pour cet article, est malheureusement passée complètement inaperçue…

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